L’idée a surgi lors d’un atelier d’expression orale qu’elle a coutume d’animer le jeudi auprès de ces dames, l’une d’elles est arrivée en retard en affirmant s’être perdue sur le réseau de transport, à cause des changements de lignes à effectuer. Un simple échange entre les apprenantes et l’animatrice aura suffi à révéler les difficultés qu’elles rencontrent lorsqu’il s’agit d’emprunter les transports en commun. Une réflexion s’est engagée entre l’animatrice et Pascal Duplouy, coordinateur pédagogique du site de Maubeuge, avant que le feu vert ne soit donné et le projet présenté aux mamans.
« Les dames avec qui je travaille ont entre 45 et 70 ans, elles sont toutes d’origine berbère et pour la plupart veuves. Elles n’ont jamais été scolarisées et sont aujourd’hui livrées à elles-mêmes pour toutes les tâches de la vie quotidienne, puisque leurs enfants ont quitté le foyer familial. » nous explique Khadija. « Le projet doit à terme leur permettre de prendre les transports en commun sans l’aide de quiconque, c’est l’objectif que l’on s’est fixé en mettant en place cette action sur le réseau Via Ville de Maubeuge ».
Connaître les différentes lignes de bus, leurs directions, les terminus, les correspondances, l’idée est de permettre à ces dames de se situer dans leur propre quartier, dans la ville et d’y circuler avec plus d’aisance. Elles ont toutes manifesté un besoin d’autonomie et d’indépendance, de « ne plus devoir compter sur la voiture des enfants pour aller faire une course »…
Cet effort de vouloir se confronter à leurs propres difficultés, de surmonter leurs blocages, il répond à un besoin profond de libérer la parole, elles veulent être capables aussi de pouvoir demander leur chemin ! Être mobile, ce n’est pas simplement acheter un ticket, c’est avant toute chose associer des symboles, des couleurs, des mots, des quartiers, c’est prendre sa place aussi dans un lieu commun, c’est vivre avec les autres.
Le projet se déroule en trois étapes : la découverte, l’exploration et l’appropriation. Trois temps qui permettent aux mamans de s’investir progressivement et à l’animatrice de construire une cohésion de groupe.
La phase de découverte implique dans un premier temps la verbalisation des attentes de chacune, la prise en compte de leurs besoins au quotidien : prendre le bus, faire des courses, aller au bureau de poste, etc… La difficulté réside dans la bonne appréhension des représentations que les mamans se font des lieux et de l’espace dans lesquels elles évoluent. Un temps d’échange autour de leurs expériences respectives est nécessaire pour donner une idée plus juste de la façon dont elles vivent la mobilité dans leur quartier, dans leur ville et plus généralement à l’échelle de leur pays d’accueil. Une fois ces précieuses données recueillies, Khadija leur présente une carte, un plan de l’itinéraire sur lequel elles vont travailler. Dès lors, le groupe peut passer à la phase d’exploration : l'animatrice propose plusieurs séances de sortie et mise en situation réelle en prenant le bus (la ligne B) et en axant son travail sur la reconnaissance des photos des différents arrêts de bus qui jalonnent le trajet. Par la suite, de retour dans les locaux de l’association, elles doivent associer les photos correspondantes aux noms des arrêts sur une reproduction murale de l’itinéraire choisi.
L’exercice nécessite un long travail de préparation, une certaine assiduité et une bonne cohésion du groupe. Une fois encore, l’accompagnement des personnes « sur le terrain » les aide à réaliser un travail sur l’estime de soi et à se soutenir mutuellement au besoin. Vient ensuite la dernière étape, celle de l’appropriation, les mamans sont toujours accompagnées par Khadija, mais celle-ci ne les guide plus, elle veille simplement à ce qu’elles s’orientent par elles-mêmes et fassent des choix en parfaite autonomie, en fonction de l’itinéraire qu’elles auront préalablement défini.
Cette démarche favorise la coopération et renforce en même temps les aptitudes individuelles, les personnes prennent la mesure de leurs capacités à aller de l’avant et à s’émanciper du groupe.
Publié le 17/05/2019